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Source de la vidéo : Librespace
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" La vie dangereuse "
Photographies de Marine Lanier
Cette exposition a eu lieu du 27 mars au 7 juillet 2013
Le titre La Vie dangereuse est emprunté à l'oeuvre éponyme de Blaise Cendrars. La série poursuit de manière arbitraire le rythme même du parcours d’aventurier de l'écrivain - l'espace littéraire ici lié aux césures géographiques, la déliquescence du sauvage tenue aux soubresauts de la mémoire.
Le propos n'est pas d'illustrer la nouvelle J'ai saigné, mais de faire se rencontrer la fiction et l'autobiographie.
Ces close-up sont comme les fulgurances d'un homme en proie aux délires provoqués par la fièvre. La course folle que j'invente, celle d'un soldat bléssé de 1915, est confrontée à la rémanence de mes souvenirs lacunaires. Le récit d'errances impossibles intriqué aux éclats d'une généalogie morcelée.
Images traumatiques, scènes primitives, beautés tragiques, entrevues dans les stases d'un état second, lorsque le corps est chevillé aux hallucinations de la douleur. Survivance d'une mémoire reptilienne qui surnagent par-delà les tréfonds, repoussée aux confins de la vie, dans un lieu suspendu - celui des limbes, en somme.
Ici, il est question de touffeur viciée puis de glace, de danger proche de l'éblouissement, d'une mer boueuse laissant place à la menace de l'animal. Dans le même élan, la puissance d'un feu se dérobe à celle d'une jungle sourde. Quelques montres à gousset, dont le cours du temps est suspendu par la chaleur d'un incendie, font écho aux fragments de voiture brûlée, échouée au hasard d'une île.
Les images bleues de jadis et naguère sont hantées par le spectre de la sauvagerie, les sous-expositions étant le reflet de l'empire du pourissement.
C'est un monde terrien replié en mirages désertiques dont l'impermanence matérielle se déploie en plantes dévorantes et vastes mouvements. Une violence tue où la beauté grave fait se côtoyer constamment un univers de fin du monde à celui du commencement.
Mon travail s'inscrit dans une nature habitée et vivace, recouverte de tâches aveugles, faite de pulsion et de répression, de poursuite et de heurt, d'exaltation et d'épuisement, de crime et de rédemption, de vengeance et de pardon.
Devant le surgissement d'une telle étrangeté, on est encore chez soi ou perdu au milieu de nulle part, remontant le cours d'un fleuve caché, tel un nouveau Fitzcarraldo.
Ces photographies sont l'expression des débords de la vie - plutôt celle d'une soif de vivre qui sait prendre le risque de l'ivresse - celle des liqueurs fortes.
Marine Lanier, décembre 2012
La fièvre, l'épuisement, la bouteille de cognac que j'avais absorbée d'un seul trait, les cahots de la route, l'horreur, l'épouvante des transbordements, les relents ou les renvois du chloroforme ou de l'huile camphrée, la faim, la fatigue, la sensation de vertige et de tomber, les bombardements, les injures, les misères, la canonnade de l'attaque, les bombes, les explosions, les revenez-y de la bataille, le tir des mitrailleuses allemandes qui nous massacraient dans les barbelés, l'homme que j'avais cloué d'un coup de couteau, mon bras emporté, les cris des copains, cette envie de m'en tirer et de vivre, l'exaltation, les autres, les morts et les milliers, les milliers d'autres blessés, les chirurgiens au milieu desquels je m'étais débattu, le sang qui pissait, le froid qui me gagnait et la peur soudaine, la frousse intense de crever là, sur mon brancard, la trouille de m'endormir, de m'évanouir et de passer sans m'en apercevoir, la terreur d'être oublié, tout cela me donnait le délire, et j'ai dû hurler, appeler au secours, crier de toutes mes forces dans la riche et belle demeure ecclésiastique endormie, ou tout au moins je me l'imaginais. Mais peut-être quand je m'imaginais crier de toutes mes forces, je devais à peine respirer ou faiblement geindre ou gémir, pouvant à peine respirer, car, en réalité, j'étais à bout.
Quoiqu'il en soit, j'ai le souvenir d'avoir livré une lutte farouche, longue et sournoise, mais aussi brutale que possible, pour ne pas perdre entièrement conscience, pour ne pas me rendre, pour échapper au coma.
J'ai saigné extrait de La Vie dangeureuse, Blaise Cendrars, 1938.
www.marinelanier.com
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