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Voyage(s)

De Francis Traunig

Du 14 septembreau 17 décembre 2011

À travers cette expo, Francis Traunig nous offre la magnificence des paysages de Mongolie et de Namibie, en introduisant une dimension humaine très personnelle. Par son travail original, il apporte cette part de rêve et d’imaginaire qui nous touche tant.

Biographie

Francis Traunig est un marchand de vêtements de Genève qui est plutôt photographe.
Souvent à la place de pellicule, il charge son appareil de joie.
Interrogé sur ce qu’il fait de ses photos, quand il en fait, il répond : rien ! Je les donne.
Un de ses grands plaisirs est d’égarer ses négatifs, pour déclarer, quand il les retrouve : « C’est le temps retrouvé ! » - même si ce ne sont que quelques cent vingt cinquième de seconde.

Photographier le voyage en évitant les clichés, quel challenge stimulant ! Après bien sûr les sempiternelles questions que se pose tout photographe au seuil de son départ : quel appareil, combien d'appareils, de films, de cartes mémoires, d'objectifs, etc.…, pointent des questions peut-être plus intéressantes sur ce qu'implique, dans sa relation au monde, le fait de trimballer - en cloche de vache - son Canon autour du cou.

Voyager ou photographier ? Voyager et photographier ?

Dans mon cas, à la photographie, je préfère le voyage, même si très pudiquement je conjure à chaque fois l'imprévu en fourrant dans des sacs noirs du matériel que je pourrais regretter avoir oublié.

Quelle plus terrible frustration qu'imaginer avoir raté le cliché de sa vie ?

En voyage, seul mon Fuji panoramique me semblait capable d'embrasser l'ampleur des paysages dont je voulais m'imprégner, mais bien vite, je me suis rendu compte que cadrer - même en panoramique - c'est exclure, c'est omettre et que chaque image était l'aveu de cette faiblesse.

C'est en Mongolie, dans une yourte, en buvant du lait de jument fermenté et un morceau de fromage sec comme du bois, que j'ai compris comment restituer les sensations du voyage.

En partageant un repas, le pays, son soleil, la pluie, contenus dans la nourriture, enfin, m'infiltraient, pour se stratifier dans le fond de mes tripes. C'est ça, cette superposition d'expériences qu'il me fallait exprimer par l'image pour qu'en s'enchevêtrant elles donnent à l'image l'illusion d'un peu d'épaisseur.

Pour dire, finalement, que rien, même la plus belle image, le plus beau des récits, jamais ne vaudra le réel.

Francis Traunig

 

Il y a ...

…il y a nos sacs pleins de livres, de guides de voyages, de tentes et de piles de réserve. Il y a le désir d'ailleurs, la quête - floue - de l'authentique. Il y a ce que nous avons lu, ce dont nous avons entendu parler, et la réalité qui défile. Il y a la muraille de Chine que nous traversons en train, la brume, l'odeur de mazout de la motrice. Il y a les aventures que nous projetons, la pastèque que nous partageons, les rires, l'enchantement d'être sur des voies mais de ne pas vraiment savoir où nous allons. Il y a cette phrase d'Henri Bauchau qui me revient : Si tu ne sais pas où tu vas, va où tu ne sais pas… phrase qui me fait considérer mon carnet de notes vide, plein de tous les possibles à venir. Il y a des images ratées, déjà, qui défilent et qui me font regretter de n'être pas aux aguets. Il y a le souvenir de Pékin qui se dépose lentement au fond de nous : la vieille ville Tartare, il y a les amis chinois rencontrés autour d'un canard laqué, les rires et l'incompréhension qui s'emmêlent, il y a la cité interdite, désertée par les occidentaux, pour cause de pneumonie atypique, il y a les Ming, l'énergie phénoménale de la ville, les Chang, des caméras partout, il y a Mao, en effigie, mort, autant que l'est ce chien écrasé sur un grand boulevard, il y a, il y a, il y a….

Il y a mon fils, qui se penche par la fenêtre du train - une image - voit-il ce que je vois ? qui voit courir une horde de chevaux - une image ratée, une de plus - il y a au wagon restaurant quelques comme nous, des touristes, qui font semblant, en vains efforts, de ne pas l'être et qui disent : « Il y a peu de touristes, là-bas, c'est pour ça qu'on y va » et du coup deviennent ce qu'ils fuient. Il y a cette valse de Franz Lehar au poste de douane, à minuit, ces soldats qui nous surveillent, postés tous les 20 mètres, et réclament des cigarettes, il y a ces douaniers qui démontent les faux plafonds des wagons et cherchent, cherchent, quoi ? Il y a le train, il est deux heures du matin, soulevé tout entier par des vérins hydrauliques, il y a des hommes et des femmes en uniforme orange qui s'affairent à lui changer les roues. Il y a le Gobi - j'apprends qu'il y en a plusieurs - qui défile dans le noir, il y a le tagada, tagada obstiné du martèlement des roues sur les rails, il y a la lecture du Loup Mongol, l'histoire de Gengis Khan, il y a l'aube laiteuse, des yourtes qui ressemblent à des camemberts posés sur la steppe, il y a, il y a, il y a…

Il y a Oulan-Bator, le quai de la gare, nos bagages qui pèsent presque autant que nous ; certains, on est huit, ont plus de sacs que de bras, sont encombrés, d'autres regardent le ciel, d'autres regardent d'autres nous regarder, d'autres, partout, vont et viennent, indifférents à notre joie d'être là - qu'est ce que ça change, en fait, d'être là ou pas ?

Il y a des paysages, infinis, qui nous tendent les bras, il y a cette illusion de tout pouvoir embrasser d'un seul coup, il y a un chien qui sort du marché avec une tête de chèvre dans la gueule, un homme qui met sa main dans mon sac, il y a le ciel, plus vaste que la mer, qui fait chavirer le regard, la lumière qui cisaille les montagnes, les fleuves qui débordent, il y a des tempêtes, des gazelles mortes, des tombeaux vieux de dix siècles, il y a des chevaux partout, des loups qui attaquent la nuit, il y a, il y a, il y a…

Il y a la piste vers le sud, des rencontres éblouissantes, il y a mon carnet de notes :

Dans les yourtes, on se sourit, on s'effleure, on s'observe longuement. Le bol de lait de jument fermenté passe de lèvres en lèvres, comme il y a sept cents ans. Par la nourriture, nous accueillons le pays qui l'a produite : sa terre, son eau, le soleil, et ceux qui l'ont préparée : nos hôtes. La Mongolie, enfin, s'infiltre au fond de nous, s'empare de nos tripes, les brutalise. Manger a un sens, donne une épaisseur au voyage. La survivance de la tradition que préservent les rites, nous met en contact avec le passé : un enfant vénère Bouddha, égrène doucement ses litanies monotones dans des volutes d'encens ; il est la chair de l'Histoire.

Il y a la piste vers le nord, ensuite, puis notre chevauchée à travers la steppe, il y a les photographies prises au galop, il y a un cheval qui se prend la patte dans un trou de marmotte, le dos qui fait mal, des millions de moustiques, il y a des stèles en granit - turques - dressées au milieu d'un océan de fleurs, il y a l'armée de Gengis Khan, ici même, à Qaraqorum, dont il ne reste pas une trace. Il y a ces notes, encore :

Je dévore les récits à propos de ce pays éblouissant, autant que je dévore le mouton, le fromage sec, et les galettes sucrées. Au fond de moi se superposent les sensations, et les lectures : « Ils n'ont pas de résidence fixe et ne savent jamais où ils seront le lendemain. » (Guillaume de Rubrouck - 1253), lectures qui se confondent à notre propre expérience du voyage : « On dort où, ce soir ? ». Je m'interroge sur ce que nous charrions dans nos sacs à dos… bien plus que ce que possèdent les nomades dans leurs yourtes… photographie la vallée de l'Orkhon d'où est partie l'armée qui menaça simultanément l'occident, la papauté et l'islam, vallée d'où monte l'odeur de miel des edelweiss foulés par le galop de nos chevaux…

… savoir capter l'invisible qui affleure à la surface du visible : sur le visage d'un enfant ? Retrouver les traces de ce qui a été pour les superposer à ce qui est. Mêler l'histoire de notre joyeuse cavalcade touristique à l'Histoire du pays visité.


Il y a ce moinillon bouddhiste et son petit chapeau jaune, il y a nos chapeaux qu'il regarde et doit trouver drôles, il y a l'appareil photo qui nous sépare, comme un rideau métallique, il y a la ferveur des religieux à reconstruire les centaines de temples rasés par les Russes - je pense à Bush qui détruit Babylone - aux Mongols qui menacent Vienne « Il faut les devancer en leur faisant la guerre… et ne pas épargner l'argent pour se procurer des armes, afin qu'elles puissent sauvegarder, les âmes et les corps, la liberté et tout le reste. » (Guillaume de Rubrouck, 1253). Mais qui dit quoi, quoi est dit quand ? Il y a les longues discussions autour du feu de crottes séchées - dont la fumée éloigne les moustiques - il y a notre indignation - certains préfèrent regarder les étoiles - au sujet du génocide perpétré par Staline, il y a la Chine, que les Mongols craignent, qui a dévoré la Manchourie, le Tibet. Il y a les Etats-Unis, garant de la liberté du peuple mongol, il y a notre guide qui y croit, baille, et va se coucher, il y a le vent, encore, il y a les étoiles, toujours, il y a, il y a, il y a…

Francis Traunig

 

 

 

 

 

"LA FABRIQUE DE l'IMAGE" est une activité de Pollen Scop - siret : 439 076 563 000 48

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